
Antoine Julien / Baptiste Roubaud
Directeur Collecte et déchets abandonnés / Chargé de missions Affaires internationales de Citeo
Déchets abandonnés : comment agir pour protéger nos océans ?
80 % des déchets retrouvés en mer proviennent de la terre. Pour prévenir cette pollution marine et préserver la biodiversité, Citeo, Adelphe et leurs clients s'engagent. Pour revenir sur cette 3e Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC), nos experts Antoine Julien, Directeur Collecte et déchets abandonnés et Baptiste Roubaud, Chargé de missions Affaires internationales décryptent l'approche globale pour mener cette lutte contre les déchets abandonnés : depuis la source, afin de couper le robinet des déchets, en passant par l’optimisation de la collecte, jusqu’au nettoiement sur le terrain.
Chaque année, des millions de tonnes de déchets finissent dans les océans. D'où vient cette pollution ?
Antoine Julien : Les océans, véritables régulateurs du climat et réservoirs de biodiversité, assurent des fonctions vitales pour l’humanité : oxygénation de l’atmosphère, sécurité alimentaire, revenus économiques. Pourtant, ils sont aujourd’hui menacés par une pollution croissante, notamment plastique. Chaque année, environ 11 millions de tonnes de plastique pénètrent dans les océans, un chiffre qui pourrait tripler d’ici 2040 sans mesure urgente, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP 2021).
Or, 80 % des déchets retrouvés en mer proviennent de la terre, qu'ils soient abandonnés volontairement ou non. Et il faut savoir que parmi ces déchets abandonnés, on trouve des emballages ménagers. Citeo a mesuré en 2023 et 2024 via une étude inédite les déchets retrouvés au sol sur les trottoirs en milieux urbains. La part de déchets d’emballages ménagers au sol représente environ 17% de la totalité des déchets abandonnés. Cela revient à dire que 1 % des quantités mises en marché finissent au sol, ce qui représente 6,4 millions d’emballages ménagers par jour. Même si les équipes de propreté urbaine et les systèmes de gestion des réseaux d’eau effectuent un travail remarquable et captent en grande majorité les déchets au sol, une partie peut cheminer au-delà et parvenir jusqu’au milieu récepteur (cours d’eau, mer et océans…). Transportés par le vent ou les eaux de ruissellement, ils atteignent les cours d’eau puis les mers.
En agissant sur le gisement des emballages, on peut donc avoir un impact sur les dégâts causés par les déchets abandonnés. Comment s’y prend-on ?
A. J. : Le premier levier pour prévenir les déchets abandonnés consiste à changer notre regard sur le déchet. Tant qu’il est perçu comme inutile ou sans valeur, il reste plus facilement abandonné dans l’espace public. L’enjeu est donc de lui redonner une valeur économique, environnementale et sociale, en l’intégrant dans une logique d’économie circulaire où il devient une ressource à recycler, réutiliser ou réemployer. Dans cette perspective, le geste de tri joue un rôle central : il constitue un rempart concret contre le geste d’abandon. Pour qu’il devienne un réflexe, il doit pouvoir s’exercer partout, tout le temps. C’est pourquoi le tri hors foyer, c’est-à-dire en dehors du domicile, est devenu un enjeu environnemental, citoyen et systémique. La loi AGEC prévoit d’ailleurs sa généralisation dans l’espace public d’ici 2025, incitant les collectivités à s’y préparer activement.
Dans ce contexte, Citeo accompagne les acteurs publics dans le déploiement de dispositifs de tri en dehors du domicile. Depuis 2021, il met en oeuvre un plan d’action pour la généralisation du tri hors foyer des emballages issus de la consommation nomade, renforcé depuis 2023 par le lancement de vagues successives d’Appels à Projets à destination de collectivités à compétence de propreté et/ou collecte. Ce programme est doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros à engager d’ici fin 2025 pour l’ensemble de la filière Emballages ménagers et papiers graphiques.
À ce jour, près de 200 collectivités territoriales ont été soutenues, représentant environ 18 millions d’habitants, soit plus d’un quart de la population française. Cet accompagnement permet d’équiper l’espace public en points de collecte accessibles et visibles, notamment dans les zones sensibles comme les littoraux. Les équipements de collecte et de tri installés en bord de mer sont adaptés aux problématiques spécifiques des lieux. Par exemple, certaines corbeilles en bordure de plage sont retirées au profit de panneaux incitant à garder et trier ses déchets dans un dispositif installé un peu plus loin. D’autres comportent des systèmes qui maintiennent les couvercles fermés dans les zones exposées aux vents. Également, des points de collecte plus capacitaires, comme les abris bacs, sont implantés pour éviter les débordements. Grâce à cette collaboration étroite avec les collectivités, Citeo contribue à ancrer durablement le geste de tri dans les habitudes et à prévenir efficacement les déchets abandonnés.
Dans cette dynamique, Citeo ne se limite pas à équiper les collectivités en dispositifs de tri. Comment la collaboration avec les acteurs publics va plus loin ?
A. J. : En effet, la mise en place du tri hors foyer est nécessaire, elle contribuera aux objectifs de recyclage (modestement), mais elle n’est pas suffisante pour lutter efficacement contre les déchets abandonnés. Elle est une des briques d’une démarche plus globale, structurée et qui doit adresser tous les niveaux : depuis l’amont en identifiant mieux les lieux et les facteurs d’accumulation pour adapter les mesures de prévention, jusqu’à l’aval, à travers des actions de nettoiement. Citeo poursuit donc son rôle de soutien auprès des acteurs publics, en particulier les collectivités territoriales et les gestionnaires d’espaces naturels, pour systématiser ces approches globales. Depuis 2023, il conventionne avec des communes et groupements de communes compétents en matière de salubrité publique et coconstruit avec elles leurs Plans Locaux de Lutte contre les Déchets Abandonnés (PLDA). Ces plans s’appuient sur des actions complémentaires : pilotage, diagnostic et prévention (un quart des financements doivent y être consacrés à partir de la troisième année), couplées à du nettoiement.
Fin 2024, ce sont 1441 conventions signées, avec 4691 communes engagées dans cette démarche, couvrant près de 40 % de la population française. Citeo y consacre plus de 91 millions d’euros par an. Parmi elles, ce sont 300 communes reparties sur l’ensemble du littoral français : Aix Marseille Provence, Cannes, Toulon, Montpellier, La Baule, La Corse pour en citer quelques-unes. Les gestionnaires d’espaces naturels, comme le Parc national des Calanques ou le site du Salagou-Cirque de Mourèze, font aussi l’objet d’un soutien technique et financier dans la mise en place de dispositifs de sensibilisation, de réduction à la source et de gouvernance partagée.
Cette année, Citeo signe avec l’Office Français de la Biodiversité pour renforcer la lutte contre les déchets dans les parcs naturels marins. Ce partenariat vise à développer la connaissance sur la pollution plastique, à cartographier les zones sensibles et à structurer un pilotage territorial impliquant l’ensemble des acteurs locaux. Grâce à cette approche concertée, les territoires deviennent des laboratoires d’innovation pour enrayer durablement la pollution liée aux déchets abandonnés.
Toutes ses actions nécessitent un financement structuré. Quel est le modèle préconisé ?
Baptiste Roubaud : Dans un premier temps, c’est celui de la Responsabilité Elargie du Producteur, qui permet d'assurer un financement dédié et pérenne, orienté vers des objectifs précis, tout en mobilisant l’ensemble des expertises et des parties prenantes pour une stratégie cohérente et efficace. En ce sens, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), qui a élargi la responsabilité des entreprises aux déchets abandonnés, démontre que la REP ne se cantonne pas à une logique de gestion fin de vie des produits, mais s’inscrit dans une démarche plus large de prévention de la pollution. C’est ce modèle ambitieux de REP que nous souhaitons désormais mettre en avant.
C’est donc une piste à explorer et partager pour un plan d’action en faveur de la protection des océans ?
B. R. : En participant activement aux négociations du futur Traité international sur la pollution plastique, Citeo a déjà plaidé pour l’intégration du modèle REP comme principe structurant, capable de responsabiliser les producteurs, de stabiliser les financements et d’animer tout un écosystème vers l’économie circulaire. Pour porter cette vision, Citeo avait constitué une coalition internationale de 50 éco-organismes, véritable plateforme d’échange et de co-construction.
Désormais, la 3e Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC) a été l’opportunité de réaffirmer la REP comme un levier contre la pollution, mais sur une thématique légèrement différente, quoi qu’également touchée par le plastique : la préservation des océans. En y participant, l’objectif est de mettre en avant le rôle que peut jouer la REP dans la lutte contre la pollution marine, notamment la pollution plastique, en agissant sur les problématiques de déchets abandonnés et de collecte hors-foyer, tout en soutenant des actions de prévention comme le réemploi et la réduction. À travers ces leviers, la REP contribue au financement de solutions concrètes et locales que nous pouvons partager dans une enceinte internationale.