
Romain Lebègue
Directeur développement collecte et tri
La collecte sélective se réinvente pour faire trier plus et mieux
Cela fait bientôt 30 ans qu’une très grande majorité de Français peut trier ses emballages et ses papiers, étape indispensable à leur recyclage. S’ils sont matures, l’organisation et le maillage des bacs et des points de tri en France sont en plein renouveau pour permettre de trier plus et mieux. Romain Lebègue, directeur développement collecte et tri de Citeo nous explique pourquoi et comment la collecte sélective se réinvente.
La collecte sélective a 30 ans. Pourquoi se rechallenge-t-elle aujourd’hui ?
A partir de 1992, la collecte des papiers et des emballages, qui existait déjà pour le verre, se déploie partout en France. Elle atteint un rythme de croisière dans les années 2000 et permet à une très grande majorité de Français de trier dans des bacs individuels ou points de tri, dit d’apport volontaire. Sans ce dispositif de captage des emballages et des papiers utilisés par les ménagers, le recyclage ne serait pas possible. Le constat que nous faisons est que, pour faire progresser le recyclage (67% pour les emballages, 63% pour les papiers à fin 2023), la collecte doit s’adapter aux usages et gagner en efficacité économique et environnementale.
Quels sont les freins aujourd’hui ?
Nous sommes face à un accès inégal au tri, avec des zones qui ne possèdent pas assez de bacs, voire pas du tout ; 1 à 2 millions de Français sont concernés. Il existe aussi une disparité d’organisation des collectes des emballages hors verre et des papiers qui complexifie la donne : la collecte multi-matériaux (tout en mélange sauf le verre) est majoritaire, mais on trouve aussi un système de collecte qui sépare les emballages des papiers, et un modèle (très présent en Europe mais minoritaire en France) dit fibreux/non fibreux, où les cartons et les papiers sont collectés ensemble. Autre difficulté, les différentes couleurs de bacs dans les territoires : jaune, bordeaux, vert, quand les règles changent si on est chez soi, dans la rue ou en vacances, cela perturbe le geste de tri et l’empêche de devenir un réflexe.
Comment rendre la collecte sélective plus performante ?
Nous avons quatre mots d’ordre : simplifier, rapprocher, harmoniser et rationaliser. La simplification du tri est en marche partout en France grâce au programme d’extension des consignes de tri à tous les emballages, y compris les pots, barquettes et films en plastique. Aujourd’hui près d’1 Français sur 2 est concerné, et ce sera le cas pour tous, dans les toutes prochaines années. Dans le même temps, nous poursuivons nos efforts pour fournir un conteneur ou un bac de tri à tous les Français, partout dans leur parcours quotidien. On l’a dit, améliorer la collecte c’est aussi l’harmoniser en réduisant le nombre d’organisations différentes, pour que les Français s’y retrouvent quand il se déplacent. Et enfin, un effort de rationalisation peut être fait : quand le geste de tri est bien installé, il est possible de maîtriser ou de réduire les coûts en ajustant la logistique.
Arrêtons-nous sur la rationalisation des coûts de la collecte. Quelles sont les bonnes pratiques ?
Il faut challenger les équipements : ces dernières années, pour des raisons d’esthétisme ou d’intégration, le choix s’est souvent porté sur les conteneurs enterrés, qui se sont révélés onéreux en investissement mais aussi en fonctionnement. Mais les temps changent et on voit émerger aujourd’hui une offre modernisée pour des conteneurs aériens, visibles, fonctionnels, intégrés à leur environnement et surtout 5 à 10 moins onéreux. Les expériences menées à Paris, Besançon, Strasbourg contribuent à cette tendance, qui doit s’accélérer.
La rationalisation passe aussi par une adaptation des fréquences de collecte. Aujourd’hui, le camion de collecte effectue sa tournée toutes les semaines dans des territoires ruraux alors qu’un passage toutes les deux semaines serait amplement suffisant et surtout sans impact sur le geste de tri. Ces enjeux sont cruciaux aussi car ils comportent une forte dimension sociale. La collecte des déchets est l’un des métiers les plus exposés en France avec des taux de fréquence et de gravité d’accidents parmi les plus élevés tous métiers confondus.
La modernisation de la collecte, c’est aussi cela : sécuriser les conditions de travail de personnes qui travaillent tous les jours au service de la population. On a pu mesurer pendant la crise sanitaire du Covid-19 à quel point les agents pouvaient être exposés aux risques, mais aussi et ce fut un bon signal, la reconnaissance des citoyens pour cet engagement.
Comment Citeo accompagne-t-elle ces évolutions sur le terrain ?
En travaillant au quotidien avec les collectivités locales, les opérateurs et les équipementiers. Notre accompagnement est technique, avec une expertise certaine, et se nourrit aussi des expériences locales. Nos 5 équipes régionales sont au plus proche du terrain pour conduire des projets, conseiller les acteurs et valoriser les réussites. Il est aussi financier au travers de notre Plan de performance des territoires : nous prévoyons près de 70 millions d’euros d’investissements sur la période 2018-2022 pour améliorer la collecte sélective en France. Sur 185 projets lancés, 50% concernent l’installation de nouveaux points et bacs de tri auprès des Français ; cela correspond à plus de 3 000 conteneurs pour la 1ère phase du Plan, comme à Paris, Montbéliard, Limoges ou Narbonne.
Pas toujours simple de trouver un bac de tri dans l’espace public. Comment Citeo adresse-t-elle la collecte hors foyer ?
Plus de 300 000 tonnes d’emballages sont jetées chaque année dans des lieux de consommation nomade. Bouteilles, canettes : beaucoup sont recyclables mais sont peu triées, faute de bacs ou points de tri. Nous travaillons depuis plusieurs années déjà pour inverser la tendance.
Aujourd’hui, 160 parcs et jardins de la ville de Paris et plusieurs plages urbaines de Marseille ont remplacé leurs anciens équipements de collecte par de nouveaux points de tri. Plus visibles, ces bacs en bois offrent une capacité de stockage renforcée. Les résultats sont là : pour les parcs et jardins, près de 4,5 tonnes d’emballages et papiers collectées en moyenne par site en 2019, et 37 tonnes sur les plages phocéennes pendant 2 saisons estivales. Nous accompagnons aussi des sites privés comme le parc zoologique de La Flèche, le Stade de France et Disneyland Paris dans l’installation de nouveaux dispositifs de collecte. De manière générale, les tests ont été concluants, comme le montre l’augmentation de la qualité du tri. Autres lieux qui génèrent de nombreux déchets : les festivals et événements.
Nous avons lancé Quitri, une plateforme digitale gratuite qui met en relation les organisateurs d'événements avec des opérateurs de la collecte et du recyclage. Elle compte déjà 104 opérateurs et 67 événements inscrits. Elle s'ouvre en 2020 aux gestionnaires d'établissements et lieux hors-foyer accueillant du public. Nous sommes très ambitieux sur ce volet, car c’est la continuité du parcours du trieur qui est en jeu : pouvoir trier tous nos emballages et papiers, partout, dans toutes les situations.
L’innovation est aussi un levier clé. Quelles sont les actions de Citeo ?
Oui, c’est en repoussant les limites de l’existant que nous trouverons les meilleures solutions, pour que la collecte sélective s’adapte aux usages de la ville et aux attentes des citoyens. Nous avons plusieurs outils. D’abord, nous menons des projets spécifiques dans les métropoles, car on trie deux fois moins en ville qu’à la campagne. A Paris les stations de tri Trilib’ (lien) mais aussi à Nice, Besançon, Marseille ou Grenoble où l’on expérimente des dispositifs de tri attractifs, visibles et accessibles qui répondent aux usages des habitants et aux contraintes de la ville.
A travers notre programme d’open innovation Circular Challenge, nous nous appuyons et soutenons les solutions développées par des start-up et organisons des Do Tank, des rendez-vous d’intelligence collective où des acteurs différents (et parfois concurrents !) imaginent et testent des solutions. L’expérimentation se vit aussi dans métropole lyonnaise avec le TriOmix en cours et à Bordeaux où, avec nos partenaires, nous avons testé un nouveau mobilier de tri en centre-ville (lien) ; avec des résultats probants et des recommandations concrètes pour les collectivités.
Nous accompagnons aussi 29 projets dans le cadre de l’Appel à Manifestation d’Intérêt sur la collecte innovante et solidaire mené avec l’ADEME et le ministère de la Transition écologique et solidaire. Par exemple, l’opération « Trier, c'est colorer mon quartier » associe les habitants du quartier de la Meinau à Strasbourg à une démarche artistique, culturelle et locale. Chaque tonne d'emballages récoltée permet d'effectuer un don à une association locale. A la Réunion, la micro-déchetterie « Fourmize » lancée en décembre 2019 compte déjà 650 inscrits récompensés de leur apport volontaire d’emballages par des avantages commerciaux. Résultats sur les 3 premières semaines d’exploitation : 1 tonne d’emballages collectée pour recyclage et 300 kg de verre pour réemploi.
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Les projets que vous citez activent et expérimentent le levier de la gratification, autrement dit de la récompense du geste de tri pour mieux le motiver. C’est aussi cas du dispositif de Tarification incitative que Citeo soutient ?
Oui, même si le fonctionnement n’est pas tout à fait identique car on parle là de la fiscalité locale, il est clair que la tarification incitative incite les foyers à trier davantage pour réduire la quantité d’ordures ménagères qu’ils produisent ; dans certains cas, cela réduit aussi leur facture de gestion des déchets. On constate des effets très positifs : + 30% de tri des emballages et des papiers et, -20% à -50% d’ordures ménagères. Ces résultats sont extrêmement significatifs, les habitants concernés par ce système en sont très satisfaits (à 70% d’après l’ADEME). Cela se comprend car aujourd’hui on n’imaginerait pas payer sa facture d’eau ou d’électricité en fonction de la valeur locative de son logement !
Notre ambition est que cette tarification incitative devienne la règle sur une plus grande partie du territoire. A l’heure actuelle, 6 millions d’habitants, principalement répartis sur le Grand Ouest et le Grand Est, disposent de ce système et nous œuvrons aux côtés de plusieurs dizaines de collectivités pour que 15 millions d’habitants soient concernés d’ici trois ans. Nous contribuons également à partager les bonnes pratiques à travers nos partenariats avec les régions Grand Est et Auvergne Rhône-Alpes par exemple.
Les nouvelles technologies et l’utilisation des datas peuvent-elles participer à améliorer la collecte ?
Bien sûr ! La gestion de la data est très importante et permet de traiter plus efficacement la logistique et l’organisation de la collecte sur un territoire. Les données chiffrées peuvent par exemple indiquer les points de tri les plus utilisés ou ceux qui sont remplis et nécessitent une collecte dans des délais rapides. C’est que propose la start-up Heyliot, détectée par Circular Challenge. Avec Fotonower, une autre start-up passée par Circular, nous avons aussi travaillé sur l’évaluation de la qualité du tri : en posant des caméras à l’arrière du camion de collecte nous prenons en photo le contenu de chaque bac au moment de son vidage.
Grâce à l’intelligence artificielle, on est capable de classer l’ensemble des objets observés : emballages, papiers, erreurs de tri. Identifier les erreurs, localiser les adresses qui en sont à l’origine, c’est aussi permettre d’agir aux bons endroits : accentuer la communication et l’information pour améliorer le geste de tri et obtenir, in fine, une collecte plus efficace.