
Sophie Genier
Directrice services recyclage de Citeo
Recyclage des emballages et des papiers : des succès et des défis à relever
Le recyclage est l’une des conditions essentielles de l’économie circulaire. De la collecte à l’intégration de nouvelles matières premières dans les circuits de production, les filières de recyclage des emballages et des papiers sont une chaîne d’acteurs et de compétences qui transforme nos déchets en ressources. Sophie Genier, directrice services recyclage de Citeo revient sur la création des filières de recyclage en France et sur les actions mises en œuvre pour les rendre encore plus performantes.
Pourriez-vous définir ce qu’est une filière de recyclage ?
Quand on parle de filière de recyclage, il s’agit de toute une chaîne qui mobilise, à chaque étape, différents acteurs aux compétences précises pour in fine donner une nouvelle vie à un matériau : collecte, tri industriel, revente, recyclage, réintégration de la matière dans une nouveau produit ou emballage ; puis la boucle est bouclée avec sa commercialisation et son tri par le consommateur, la collecte… et ainsi de suite. Les filières de recyclage sont des acteurs majeurs de l’économie circulaire. Elles alimentent l’Industrie en matières de qualité avec un impact limité sur l’environnement : recycler 1 tonne d’aluminium permet d’éviter 95% de la production d’énergie nécessaire à l’aluminium vierge, quand recycler 1 tonne de verre permet d’éviter de prélever plusieurs centaines de kilos de sable et de calcaire.
Dans le cadre de la Responsabilité Elargie du Producteur, Citeo développe le recyclage des emballages et des papiers et accompagne les filières. Comment se sont-elles construites ?
Avant la création de la REP en France en 1992, les filières matériaux verre, papiers, cartons et métal, existaient déjà et avaient structuré leur outil industriel dans une logique locale, en installant leurs usines proches de lieux de production. C’est particulièrement du cas du verre pour lequel moins de 300 km sépare les 2 types de sites. Le démarrage de la collecte sélective a donné un très fort coup d’accélérateur aux développement industriel de ces filières. Avec notre accompagnement financier et technique, elles ont fait évoluer leurs moyens de production pour produire plus de matières recyclées et s’engager à les intégrer dans les nouveaux produits fabriqués. Le plastique n’a pas le même historique et doit opérer aujourd’hui de profondes évolutions.

Quelles sont ces évolutions ?
En 1992, le choix a été fait de développer le recyclage des emballages en plastique les plus nombreux et faciles à identifier pour le citoyen : ce sont les bouteilles et flacons, qui représentent à eux seuls 40 % du volume d’emballages en plastique mis sur le marché en France chaque année (1,1 million de tonnes au total). Leur recyclage est aujourd’hui pérenne et compétitif, avec une forte demande en matière recyclée, par l’industrie des boissons notamment. Depuis 2012, nous développons le recyclage et les débouchés des autres types d’emballages en plastique, comme les pots, les barquettes et les films, que les Français vont pouvoir tous trier d’ici 3 ans. Cela passe d’abord par la modernisation des centres de tri et la constitution de filières de recyclage.
Revenons sur les centres de tri. En quoi consiste cette modernisation en cours ?
Les centres de tri sont des sites industriels qui reçoivent les emballages et papiers triés par les habitants et se chargent de les séparer par matériau pour les préparer au recyclage. Les moderniser consiste à investir pour les équiper de machines capables d’opérer cette séparation de manière fine : c’est indispensable pour traiter la diversité et la complexité des emballages en plastique de formes, de résines, (composition chimique qui leur apporte de nombreuses fonctionnalités) et de couleurs différentes ; ou encore pour capter les petits emballages métalliques, aluminium et acier. Sans ces équipements que sont les tris optiques, les machines à courant de Foucault (champ magnétique pour l’aluminium) ou les overbands (bandes magnétiques pour l’acier), un grand nombre d’emballages ne pourraient pas être recyclés. Nous avons déjà accompagné techniquement et financièrement à hauteur de 30 millions d’euros la modernisation de 52 centres de tri sur les 165 sites que compte la France en métropole et qui sont concernés par la simplification du tri. Il est certain que le développement de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance visuelle ou des marqueurs digitaux (des tatouages numériques apposé sur l'emballage, invisibles à l'œil nu et qui renferment une fiche technique lue par une caméra) permettront d’améliorer encore la séparation des matériaux et leur qualité en sortie de process.
Pour aller plus loin
Technologies de tri : quelle révolution en cours ?
Vous évoquiez également la création de nouvelles filières de recyclage. Où en sommes-nous ?
Elles concernent majoritairement le matériau plastique pour les emballages autres que les bouteilles et flacons, dont la filière est déjà robuste avec un taux de recyclage de 59% à fin 2023.
Pour développer ces filières, il faut permettre à tous les Français de trier tous leurs emballages en plastique. Cette simplification est en cours car, partout en France, le bac jaune s’ouvre aux pots, barquettes, films, tubes, sachets… progressivement sur tout le territoire français. Aujourd’hui près d’1 Français sur 2 est concerné ; ce sera le cas de tous les Français dans les toutes prochaines années. Capter ces nouveaux emballages nous permet de développer les filières qui vont pouvoir les recycler. On progresse sur ce point avec des lignes de recyclage en fonctionnement pour les barquettes et emballages complexes en PET dans l’usine de Soprema en Alsace, et pour les films dans les usines des sociétés Barbier et Machaon en France. La R&D est en cours pour les emballages en polystyrène (pots de yaourts par exemple) et pour les emballages souples avec notamment un projet de ligne test chez nos partenaires de la Fédération de la Plasturgie et des Composites.
Autre avancée notable, la création possible d’une filière bottle to bottle pour le PET opaque : il s’agit d’isoler les bouteilles blanches alimentaires pour faire de nouvelles bouteilles de lait. Les travaux ont montré la faisabilité technique et l’aptitude alimentaire de ces nouvelles bouteilles recyclées. 2020 sera l’année du passage à l’échelle, avec une première production industrielle en vue. Notons que les nouvelles technologies de recyclage, comme le recyclage chimique nous permet d’envisager des solutions même pour les plastiques les plus complexes avec des débouchés à forte valeur ajoutée. Des start-up comme Recycling Technologies ouvrent des perspectives prometteuses.
En parallèle, nous travaillons l’éco-conception pour que tous les emballages en plastique puissent disposer d’une solution en fin de vie : réemploi ou recyclage.
Citeo a créé le « flux développement » pour soutenir ces travaux de R&D. De quoi s’agit-il ?
Avec la simplification du tri, des emballages en plastique très divers arrivent en centre de tri puis chez les recycleurs. Ils nous ont alors alerté de leurs difficultés à recycler certains flux de plastiques rigides. Des barquettes en PET se retrouvaient alors dans les flux de bouteilles et flacons en PET, et du plastique PS dans le flux de PE et PP. Pour assurer la pérennité des filières de recyclage existantes en garantissant une matière de qualité, les pouvoirs publiques en concertation avec l’ensemble des acteurs de la chaine du recyclage ont mis en place, en 2019, un flux spécifique nommé « flux développement » qui permet de regrouper les emballages en plastique peu et mal recyclés jusqu’à présent : emballages en PS, pots et barquettes PET ou emballages en PET opaque. Ils sont ensuite achetés par des recycleurs, comme Soprema, et d’autres acteurs qui développent leur recyclage en France grâce à la R&D. Etant donné la complexité et l’engagement financier que ce nouveau flux représente, Citeo est l’un des acteurs qui peut le prendre en charge, comme c'est le cas aujourd'hui. Les premières tonnes ont été produites en août 2019.
Y a-t-il d’autres projets de développement de filières ?
Oui, pour les petits emballages en aluminium. Légers et de petite taille, ils se consumeraient entièrement s’ils étaient recyclés avec le process traditionnel. La technologie de la pyrolyse permet d’éviter de perdre cette matière qui représente la moitié des volumes d’emballages en aluminium mis chaque année sur marché en France : elle chauffe les petits alus à 500°C dans un environnement pauvre en oxygène, pour produire des fragments d’aluminium nettoyés (vernis, laques et éléments en plastique sont éliminés). Ils réintègrent ensuite le recyclage en fonderie traditionnelle. 3 usines situées en Allemagne et en France se chargent de cette étape intermédiaire, indispensable au recyclage. Plus de 1 000 tonnes ont été recyclées en 2019. Nous étudions l’opportunité économique et environnementale de développer ces capacités de recyclage en France et lançons des travaux de R&D pour envisager un retour dans l’emballage de la matière recyclée.
J’insiste sur le fait qu’il est indispensable de développer ces nouveaux savoir-faire sur le territoire français. C’est une formidable opportunité de contribuer à la compétitivité de la France en matière économique, par la création de valeur et d’emplois, et environnementale. Aujourd’hui, 76% des emballages et 63% des papiers sont recyclés sur le territoire français.
Les papiers et les emballages papiers-cartons connaissent eux quelques difficultés conjoncturelles. Comment les accompagner ?
Les flux fibreux connaissent des difficultés : les papiers graphiques souffrent de la baisse structurelle de la consommation et de leurs capacités de recyclage, quand les emballages papiers-cartons perdent le marché chinois suite à la réduction drastique des importations de matières à recycler, augmentant les quantités à recycler sur le territoire européen.
Nous accompagnons ces filières et travaillons à la recherche de nouveaux débouchés pour la matière recyclée, en améliorant sa qualité.